1 : La période 1964-1979 :

Invalidition de deux théorèmes (von Neumann, Wigner) et refus du théorème de non localité de Bell.

    Ma thèse de physique théorique a été élaborée sous la direction de Louis de Broglie. Elle s’intitule Étude du caractère complet de la mécanique quantique. Cette thèse, publiée en 1964 chez Gauthiers Villars dans la collection Les grands problèmes des sciences avec une préface de Louis de Broglie (1)[1] , contient la première invalidation non pas affirmée, mais prouvée – et à ce jour la plus élaborée – du fameux théorème de von Neumann[2] selon lequel une théorie des microétats "plus complète" que la mécanique quantique et compatible avec celle-ci, serait à jamais impossible. Ce théorème était regardé comme l’institutionnalisation du fameux "problème d'impossibilité de paramètres cachés".

    Je signale que ma thèse – dont le caractère dominant est de nature logique – contenait déjà aussi des analyses épistémologiques qui mettaient le formalisme quantique en relation avec les processus humains de conceptualisation impliqués dans l'expression mathématique d'une théorie d'un domaine de faits physiques.

 

   Après la soutenance de ma Thèse mes recherches sur les fondements de la mécanique quantique ont continué à l’Université de Reims où – en qualité de professeur de théories physiques – j’ai fondé en 1971 le Laboratoire de Mécanique Quantique et Structures de l’Information que j’ai dirigé jusqu’en 1997. Ces recherches m’ont conduite à approfondir la théorie des mesures quantiques : Comment arrive-t-on à "mesurer" des grandeurs assignées à des entités microscopiques – des états de microsystèmes (ou microétats) – que l’on ne peut pas percevoir et qui en outre sont essentiellement instables selon la définition même du concept de microétat[3] ? Comment, à l’aide de quelle stratégie cognitive, à l’aide de quelles opérations physiques associées à quelle organisation de concepts-appareils-opérations-codages, arrive-t-on à construire une structure de connaissances concernant des microétats, qui puisse conduire à des prévisions d’une précision aussi impensable que celles qu’offre le formalisme quantique?

  Jusqu’à très récemment, ces questions ont résisté dans mon esprit à une réponse intégrée, qui m’apparaisse comme une solution proprement dite. Toutefois, elles ont travaillé d’une manière souterraine à une sorte d’usure très lente de la formulation Hilbert-Dirac de la mécanique quantique. Corrélativement, elles m’ont naturellement conduite vers la théorie des probabilités et vers la théorie des communications d'informations de Shannon. Ainsi

 

[(mécanique quantique)+(théorie des probabilités)+(théorie des communications d'informations)]

 

ont bientôt constitué dans mon esprit un seul tout où je cherchais à expliciter une cohérence à la fois logique et épistémologique.

    Parmi les travaux publiés au cours de la période qui a suivi la publication de ma thèse, je ne mentionne ici que ceux ((2),(3)) qui établissent une deuxième invalidation importante, celle du théorème de E.P. Wigner[4] selon lequel il ne serait pas possible de construire une probabilité conjointe d’une valeur de position et d’une valeur de quantité de mouvement assignées à un microétat, qui soit compatible avec le formalisme quantique. Ces deux travaux (surtout le premier) contiennent à nouveau des analyses où le formalisme quantique est mis en relation explicite avec les actions opérationnelles-conceptuelles qui sont impliquées.

 

    Malgré la réalisation de cette deuxième invalidation, la période qui a suivi ma thèse m’apparaît rétroactivement comme très lente et laborieuse, comme entachée d'une nuance d’impotence. Je ne réussissais pas à expliciter la stratégie cognitive qui se trouve nécessairement incorporée dans le formalisme quantique, dans l’exacte mesure où celui-ci est performant. Corrélativement, je n'arrivais pas non plus à véritablement comprendre le "statut conceptuel" de cette mécanique quantique que pourtant je connaissais déjà à fond et que j’enseignais : en quel sens – exactement – "décrit"-elle des microétats? Je ne savais pas clairement ce que je cherchais, ce qu’il aurait fallu avoir trouvé pour dire que j’ai compris la mécanique quantique; lorsque cette question surgissait dans mon esprit, ce qu'elle y produisait en tant que réponse n'était qu'une place obscure où tremblaient mollement des contours fuyants et flous.

 

    Cette longue période opaque n’a pris fin qu’en juin 1979. Elle a pris fin brusquement, d’une manière inattendue. A l’occasion du centenaire de la naissance d’Einstein j’ai été invitée à exposer ma vue concernant le théorème de non-localité de Bell, dans le cadre d’une Table Ronde organisée au Collège de France. Chaque participant disposait de 20 minutes d’exposé. J’ai écrit les 14 pages de mon intervention (4) d’un seul trait et en un seul jour.

    Or ce bref texte s’est avéré être une formulation de l'essence d'un programme que, depuis, je n’ai jamais cessé de développer. Les questionnements formés au cours des 15 années qui avaient suivi ma thèse, avaient subi lors de la rédaction de ce texte un processus quasi instantané de précipitation en un ensemble de refus et de problèmes clairement énoncés. J’y montrais comment, dans cette question de "localité" qui à l’époque secouait l'entière communauté des physiciens, les sens des mots étaient mal contrôlés et prêtaient à une foule de confusions qui s'opposaient à une adhésion décidée à la conclusion du théorème de Bell, même si la preuve mathématique semblait ne pas être critiquable. Et je mettais en évidence une nécessité qui déjà me paraissait urgente, d'atteindre la zone encore très obscure où les racines de la logique et celles des probabilités doivent s'unir en certains traits épistémologiques encore inconnus mais très fondamentaux qui, implicitement, gouvernent sans doute l’organisation de la strate primordiale des savoirs humains; donc aussi, en particulier, l'organisation du type de savoirs contenu dans le formalisme quantique.

 

[1] Un numéro entre parenthèses envoie à la publication portant le même numéro dans la liste des travaux indiqués sur ce site.

[2] Neumann, J., Von, Mathematical foundations of quantum mechanics, Princeton University Press, 1955.

[3] Dirac a défini les quantités dynamiques assignées à l' "état" d'un micro-système, comme ce qui évolue cependant que les caractéristiques du système impliqué – masse charge, spin – restent constantes.

[4] Wigner, E. P., in Perspectives in Quantum Theory, W. Yourgrau and A. van der Merwe, eds., MIT Press, 1971.

 

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