2 : La période 1984-1994

Critiques et constructions parcellaires concernant la mécanique quantique, les probabilités et la théorie des communications, et impliquant toutes explicitement des traits épistémologiques

    À partir de 1979 le substrat de mes travaux fut investi par des questions à caractère résolument épistémologique : À quels principes ou règles implicites commandant les processus de construction de connaissances, obéissent les formalismes de la mécanique quantique fondamentale, de la théorie des probabilités, et de la théorie des communications d'informations? Ces principes ou règles pourraient-ils être explicités et normés ?

    Bien entendu, les structures mathématiques impliquées ont continué à jouer un rôle majeur, de référence, d’orientation, et même d’objet d'éventuelle novation. Mais mon but majeur devenait épistémologique; épistémologique et constructif-normatif-unifiant.

   J’avais cessé d'être intéressée par l'invalidation ponctuelle de telle ou telle démonstration particulière. La nature et l'extension de mon objectif avaient muté. Via le traitement d’une sélection de problèmes particuliers, je recherchais désormais à structurer une façon explicite et générale de conceptualiser qui puisse exclure a priori, par construction, l'émergence de raisonnements qui par la suite prêtent le flanc à des invalidations ou s'égarent indéfiniment dans des labyrinthes conceptuels clos par des impasses.

    Je recherchais un système de normes pour conceptualiser de manière libre mais protégée. Je cherchais à ériger un mode de conceptualisation doté d'une parfaite transparence qui permette de percevoir comment, lors de chaque pas de conceptualisation, peuvent s'insérer des germes d'ambiguïtés, et comment l'installation de tout tel germe peut être prévenue de manière méthodologique afin de bannir par construction toute possibilité de développements fallacieux qui empêtreraient l'entendement dans de faux problèmes et des paradoxes.

    Je voulais qu'en outre ces normes méthodologiques préventives exposées à tous les regards, permissent aussi de re-construire sainement toute construction conceptuelle déjà accomplie qui, lorsqu'elle est analysée à la lumière de ces normes, apparaîtrait comme viciée par l'insertion implicite de quelque germe de développements fallacieux.

 

    Évidemment, ce but complexe ne se formait lui-même que progressivement, par le traitement effectif de problèmes particuliers.

    Les étapes révélatrices les plus importantes se sont accomplies à l'occasion de (a) la construction d'une "fonctionnelle d'opacité d'une statistique face à la loi de probabilité qui agit", (b) par l'explicitation de la structure d' "arbre de probabilité d'un microétat", (c) par la mise en évidence de la structure logique impliquée dans le formalisme quantique, et enfin (d) lors d'une représentation primitive du formalisme de la mécanique quantique fondamentale comme un calcul mathématique avec les contenus sémantiques des descriptions de microétats.

 

(a) La fonctionnelle d'opacité

 

   Entre 1979 et 1982 j’ai pu résoudre le problème suivant: établir une définition mathématique de la relation entre le concept d’entropie statistique défini par Boltzmann à l'intérieur de la physique, et le concept d’entropie "informationnelle" d'une loi de probabilité défini par Shannon. En effet il me paraissait impensable que la quasi parfaite similitude formelle entre deux concepts aussi différents dans leurs contenus sémantiques, puisse être une coïncidence.

    La définition recherchée a d'abord été construite en détail dans (6). Elle a été en même temps résumée dans (5). Ensuite elle a été reconstruite dans (en collaboration) d'une façon radicalement simplifiée mais qui est opaque des points de vue méthodologique et explicatif (7). L’approche initiale (6) – extrêmement mathématique – possède encore une première apparence tout à fait classique. Mais en fait elle introduit déjà un aspect résolument méthodologique, encore inusuel, à savoir la stratification du processus de construction de l'expression recherchée. Or, bien qu’encore embryonnaire et implicite, cet aspect méthodologique est précisément ce qui a permis de dépasser les difficultés qui, avant, bloquaient l'accès à une relation formellement construite entre une entropie statistique au sens de Boltzmann et l'entropie "informationnelle" d'une loi de probabilité de Shannon.

 

(b) L'arbre de probabilités d'un microétat et l'aube de la méthode de conceptualisation relativisée

 

    En 1984 est parue la toute première expression de ce que j’appelle maintenant la méthode générale de conceptualisation relativisée (MCR) (8). Cette présentation initiale était encore conçue en relation très intime avec l’organisation probabiliste spécifique du formalisme quantique, où je distinguais pour la première fois la structure probabiliste d'arbre de probabilité d’un microétat. Cette structure est différente de celle, classique, d'un espace de probabilité de Kolmogorov. Et, d'une façon encore nébuleuse, il apparaissait déjà que – malgré le fait qu'elle était en train de faire irruption dans l'explicite à la faveur de l'examen du cas particulier des descriptions quantiques de microétats – cette structure ne constituait peut-être qu'une instance particulière d'un trait universel des processus humains de conceptualisation.

    Mais il convient de mentionner aussi que le concept d’arbre de probabilité d’un microétat, tel qu’il apparaissait dans (8), était encore vicié par une très curieuse cécité face au fait que le formalisme quantique occulte le caractère individuel de la phase de conceptualisation d’un microétat qui correspond à la définition de la racine et du tronc d’un tel arbre.

 

    Par la suite j’ai explicité séparément les conséquences que cette nouvelle structure probabiliste arborescente encryptée dans les algorithmes quantiques, entraîne pour – spécifiquement – les descriptions de microétats (9), et j’ai en outre mis cette structure en relation analysée avec des processus épistémologiques d'une part (10,11) et d'autre part avec la théorie classique des probabilités de Kolmogorov et avec la théorie de l’information de Shannon (13).

 

    Mais d'autre part, simultanément, je commençais à élaborer aussi sur un plan général le concept d'arbre de probabilité d'une entité-objet-de-description absolument quelconque.

 

(c) La structure logique impliquée dans le formalisme quantique

 

    Lorsqu'on examine les caractéristiques logiques de l'entier ensemble des "propositions" impliquées dans la mécanique quantique (les assertions quantiques qui peuvent s'avérer vraies ou fausses), il est difficile d'échapper à la conclusion que la structure algébrique de cet ensemble est intimement liée à la structure probabiliste arborescente des descriptions de microétats.

    En outre, cette structure n'est pas un treillis, comme on l'affirme couramment. C'est juste une structure (1) stratifiée, et qui (2) n'admet pas une conjonction logique – dotée de signification factuelle – entre toutes deux propositions de l'ensemble des propositions quantiques (12).

 

La caractéristique (2) est probablement la plus profonde spécificité de ce qu'on appelle "la logique quantique". L'on y devine une instance particulière d'un trait universel qui marque l'unité génétique des conceptualisations probabiliste et logique, mais qui ne peut se manifester clairement que dans les fondements primordiaux – absolus – des processus humains de construction de connaissances 5,6

 

    Le travail (12) contient donc la toute première indication – bien définie et entièrement construite pour le cas particulier des descriptions de microétats – d'une unité foncière entre la conceptualisation probabiliste et la conceptualisation logique. Dans la pensée classique cette séparation n'avait jamais pu être véritablement vaincue (pensons notamment aux essais de Reichenbach et aux analyses de Jean-Blaise Grize ).

 

(d) Le formalisme quantique comme un calcul mathématique avec des contenus sémantiques de descriptions de microétats

 

    L'élucidation (du moins selon mes propres standards) mentionnée ci-dessus, de la structure probabiliste et de la structure logique impliquées dans le formalisme quantique, et la relation de ces structures avec des caractères épistémologiques qui paraissaient être tout à fait généraux, permirent dès 1993 de construire une présentation – primitive – de la formulation Hilbert-Dirac de la mécanique quantique, comme un calcul avec des contenus sémantiques de descriptions de microétats (11).

 

Pour moi ceci fut la première indication claire de la possibilité d'une épistémologie générale et formalisée – et même formalisable en termes mathématiques – et qui en outre soit directement enracinée dans le réel physique et exprimée en harmonie avec la microphysique actuelle.

 

     Cette indication a induit à partir de 1993 une claire bifurcation de mes recherches.

    D’une part je continuais de poursuivre le but de décoder l’organisation épistémologique-probabiliste-logique sous-jacente au formalisme de la mécanique quantique.

    Mais d’autre part je poursuivais désormais résolument l’élaboration indépendante d’une méthode de conceptualisation générale et autosuffisante, enracinée dans le réel physique et fondée sur un type descriptionnel qui soit une généralisation du type de description des microétats qui est impliqué dans le formalisme quantique ; une généralisation qui incorporât toute l'essence de ces descriptions de microétats, et de celles-ci seulement.

   Car j’avais enfin désormais clairement compris que ce type descriptionnel était primordial et universel.

 

 

[5] Wittgenstein, Remarks on Logical Form, Aristotelian Society, 1929 (texte d'une conférence non prononcée)

[6] Cette question de la non-généralité d'une conjonction logique est vraiment très fondamentale (cf. un traitement explicite et détaillé dans (16) pp. 226-229 et (17) pp.172-176 et 259-262). Ce traitement, dans les deux ouvrages cités, inclut une citation-clé extraite du travail de Wittgenstein cité ci-dessus, qui permet de comprendre que pour ceux qui n'ont pas longuement fréquenté les fondements de la mécanique quantique, la chance était quasi nulle d'atteindre la strate absolument primordiale de conceptualisation où l'unité génétique des conceptualisations logique et probabiliste, peut être perçue, ainsi que la voie par laquelle cette unité s'accomplit.

[7] Reichenbach, H, Introduction à la logistique, Herman 1939.

[8] Grize, J-B, in Logique et connaissance scientifique, Encyclopédie de la Pléiade, pp. 135-288, Gallimard 1967

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